La légitime défense et l’aspect légale dans les arts martiaux

Publié par Larry Foisy le

À chaque période d’entrainement nous répétons différentes techniques afin de s’approcher de la perfection dans l’exécution. Nous exerçons notre mental à reconnaitre l’attaque et préparer une riposte adéquate. Il y a malheureusement un aspect que nous n’abordons pas souvent, il s’agit des implications légales de nos actions en situation d’auto-défense réelle. Je tenterai de démystifier quelques concepts légaux de l’emploi de la force (défense) afin de vous aider à gagner votre combat sans pour autant perdre votre procès.

Commençons par quelques définitions et principes de bases en lien avec l’auto-défense. D’abord, notons que, peu importe le terme utilisé (défense ou auto-défense), la définition reste sensiblement la même. Il s’agit de : « toute action qui tend à délivrer ou préserver soi-même ou les autres d’un danger sous quelque forme qu’il se présente ». La seule distinction à apporter avec l’auto-défense est que celle-ci faire rapport au fait de se défendre soi-même alors que la défense seule est plus vague et implique de défendre une autre personne ou un bien (ex. sa maison). Nous traiterons de la légitime défense un peu plus loin car cette notion implique le côté légale qui sera abordé dans la deuxième partie du texte.

Avant même de parler d’action de défense, il faut être conscient que chaque fois qu’une action de défense intervient, un élément psychologique la domine toujours, il s’agit du danger qui menace. Il s’agit avant tout, pour la personne qui se défend, de résister à ce danger, de le dominer ou d’y échapper, sous peine de devenir plus ou moins la victime de l’élément contre lequel il combat.

La défense en situation réelle est toujours une compétition sévère qui peut aller jusqu’à la mort. La défense nécessite, en plus des qualités purement physiques et techniques, des qualités mentales et d’actions qui seront primordiales dans les processus de prise de décision et qui auront un impact certain sur les implications légales de la défense.

Je n’élaborerai pas beaucoup au sujet des qualités physiques nécessaires à la défense puisqu’il s’agit de tout ce que nous sollicitons lors de la partie réchauffement de notre période d’entrainement. Soit le cardio, la force musculaire et la psychomotricité.

Les qualités techniques ne seront pas détaillées outre mesures non plus. Notons seulement que les qualités techniques font référence à l’ensemble de nos coups de poing, coups de pied, projections, immobilisations, enchaînements et j’en passe.

Les qualités mentales sont, quant à elles, beaucoup plus importantes à considérer dans l’aspect de la défense car elles permettront de limiter considérablement ses implications légales. Les qualités mentales permettent un jugement sûr de la situation. Cela signifie être capable d’identifier clairement s’il s’agit d’une situation dangereuse ou non. Lorsque la situation est effectivement dangereuse, les qualités mentales permettent ensuite une analyse des faits et une prise de décision rapide sur le choix des moyens à employer afin de mettre fin à la situation dangereuse. Notons que plus les qualités mentales sont fortes, plus il sera possible et facile d’élaborer une ou plusieurs stratégies efficaces (plan A, plan B…).

Les qualités d’action sont les qualités qui permettent d’agir avec sang-froid, énergie, combativité et maîtrise. Permettez-moi ici de mettre l’emphase sur la combativité qui est faite de volonté et de ténacité. Il faut vouloir et s’acharner à vouloir pour triompher. Une personne sans esprit combatif est vaincue d’avance.

Cependant, il ne faut en aucun cas confondre la combativité, qui est une qualité noble, avec le défaut grave de son excès soit, l’agressivité. En effet, l’esprit combatif trop poussé et exaspéré tourne souvent à la provocation et à l’attaque injustifiée qui sont contraire aux principes de maitrise et de respect présent dans tous les arts martiaux.

Même si toutes les qualités énumérées précédemment sont essentielles et indissociables, le développement des qualités physiques reste la base de la défense. Il faut aussi noter qu’une efficacité totale n’existe pas. L’efficacité d’une action défensive repose avant tout sur les qualités physiques de l’individu. Une personne en bonne forme physique risque moins de tomber dans l’excès et, par le fait même, d’avoir des problèmes légaux. Une personne en bonne forme physique apprendra et s’adaptera plus facilement, ce qui rendra automatiquement l’action de défense plus sûre et décisive.

Enfin, afin de pouvoir améliorer chacune de ces qualités, il est primordial de s’entrainer de façon logique. Il faut d’abord commencer par un entrainement physique généralisé. Cette pratique est orientée sur la puissance musculaire et cardio-vasculaire ainsi que sur le développement des qualités motrices comme l’équilibre, la vitesse d’exécution et le synchronisme. Ensuite, il faut un entrainement en technique pure. Il s’agit ici de nos cours de techniques dites « traditionnelles ». Par la suite, pour exercer notre cerveau et améliorer nos qualités mentales et d’actions, il faut se placer en situations de combats simulés dans des contextes les plus réels possibles. Ces entrainements en « simulations de situations réelles » permettront à notre esprit de s’habituer à analyser et réagir rapidement. Ce qui nous permettra d’éliminer notre état de panique lors d’une situation réelle de danger ou nous devrons nous défendre.

Traitons maintenant de l’aspect légal de l’emploi de la force en situation de défense. Afin d’être sur la même longueur d’onde, nous commencerons évidemment par voir quelques définitions.

D’abord, définissons l’expression emploi de la force. Nous pouvons dire qu’il y a emploi de la force à partir du moment où une action est commencée en direction d’une autre personne. Par exemple le simple fait de préparer un coup de poing en amenant son poing vers l’arrière sans même amorcer le mouvement vers l’avant constitue un emploi de force vers une autre personne.

Maintenant, la définition du code criminel canadien en ce qui concerne la légitime défense.

Défense de la personne (article 34)

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

  1. a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;
  2. b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;
  3. c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

En résumé, afin de pouvoir dire que nous avons agi en légitime défense, il est nécessaire de rencontrer trois critères très important. D’abord (a), il faut croire que nous serons attaqués ou agressés pour des motifs raisonnables. Un motif raisonnable n’est pas une intuition, il faut qu’une autre personne, placé dans les mêmes circonstances, en arrive à la même conclusion que vous. À ce moment vous pouvez dire qu’il s’agit d’un motif raisonnable. Ensuite (b), il faut que vous utilisiez la force, faire un voie de fait, envers votre agresseur dans le but de vous défendre ou d’empêcher que votre agresseur utilise la force contre vous ou une autre personne. Enfin (c), il faut agir de manière raisonnable soit, n’utiliser que la force qui est nécessaire afin de faire arrêter l’agression. Il existe sensiblement la même définition (article 35(1) du code criminel) nous permettant d’utiliser la force pour nous défendre en ce qui concerne la protection de nos biens ou de tout objet sous notre garde, par exemple notre maison, notre voiture ou notre argent. Il y a, par la suite, plusieurs critères à évaluer afin de s’assurer qu’il s’agit bien de légitime défense mais je ne compte pas les énumérés un à un car cela serait beaucoup trop lourd. Nous en parlerons dans les exemples qui seront donnés plus loin.

La force nécessaire quant à elle se défini comme une force raisonnable, convenable et nécessaire sans violence inutile ou gratuite. Autrement dit, on ne fait que ce qu’il faut et pas plus pour arrêter l’agression. Tout le reste tombe dans le domaine de la force excessive et ne pourra que nous causer des ennuis. Notons cependant que la force nécessaire peut inclure l’utilisation d’armes mortelles ou non. De plus, il est primordial de savoir que lorsque l’agresseur est maîtrisé, il n’y a plus aucune raison d’utiliser la force et donc aucune excuse de légitime défense.

Voyons maintenant quelque cas de figure afin d’illustrer certain cas de légitime défense mais aussi en d’autres circonstances, des cas d’abus de forces.

Premier cas, imaginons une jeune femme d’environ 20 ans, mesurant autour de cinq pieds cinq pouces (5,5 po) et pesant moins de cent quarante livres (140 lbs), se promène à pied sur un sentier une fois le soleil couché. Maintenant, un homme, plus vieux, plus grand, plus gros et plus fort, arrive derrière elle et la saisie. Il l’amène dans le bois qui est tout près, la couche sur le sol et commence à la toucher. La jeune femme agrippe alors une pierre et frappe l’homme de toute ses forces à la tête, l’homme perd conscience et la jeune femme en profite pour s’enfuir.

Il s’agit ici d’un exemple typique de légitime défense même si le niveau de force utilisé par l’homme et par la femme est très différent. L’homme n’utilise que la moitié de sa force pour maitriser la jeune femme alors qu’elle frappe de toutes ses forces avec une arme (la pierre). Il est clair que la jeune femme n’aurait eu aucune chance à mains nues contre l’homme. La femme est alors justifiée d’utiliser un niveau de force plus grand que ce qu’elle subit afin de se libérer de l’agresseur. Il y aurait cependant eu un excès de force si la femme avait continué de frapper l’homme une fois celui-ci inconscient.

Le concept de légitime défense étant plus clair, nous partirons d’un cas simple et nous le modifierons afin de voir quelques variantes de cas de légitime défense et d’autres d’abus de forces. Imaginons d’abord deux hommes (Pierre et Jean pour les besoins de la cause) de même stature avec sensiblement le même vécu. Maintenant plaçons les dans un environnement propice aux problèmes, un bar. Si Pierre et Jean sortent du bar et engage une bagarre pour régler un différend, ni un ni l’autre de pourra évoquer la légitime défense car il y avait entente préalable au combat entre les deux hommes.

Cependant, si Pierre attend Jean à la sortie et que Jean refuse le combat en levant les mains ouvertes vers Pierre. Dès que Pierre commence un mouvement vers Jean, Jean se retrouve en position de légitime défense et pourrait utiliser la force pour empêcher Pierre de le blesser. Cependant, Jean perdrait son procès s’il sortait un couteau et l’utiliserait contre Pierre. Rappelons-nous que Pierre et Jean sont de stature semble. Jean utiliserait une force trop grande, donc excessive, afin de se défendre ce qui n’est pas permis.

Revenons au cas où Pierre attend Jean à l’extérieur et disons que Jean a le double de l’âge de Pierre et se déplace avec un canne car il a des problèmes d’équilibre. De plus, Jean connait assez Pierre pour savoir qu’il est du genre à frapper d’abord et discuter ensuite. Au moment où Jean sort du bar et que Pierre se dirige vers lui en l’injuriant, Jean craint pour sa vie. Est-ce que Jean pourrait utiliser sa canne et frapper Pierre avant même que Pierre ait amorcé un coup de poing? La réponse est oui car Jean est physiquement diminué et il sait qu’il pourrait sortir gravement blessé d’un affrontement contre Pierre. Dans ces circonstances, Pierre est en légitime défense.

En résumé, lorsque nous avons une crainte sincère pour notre intégrité physique, nous pouvons utiliser la force et nos techniques apprises afin de nous défendre et sauver notre peau. Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue c’est qu’il n’y a pas de formule claire et limpide des concepts d’auto-défense et de légitime défense dans la loi. Ce qui est raisonnable pour une personne dans une circonstance donnée pourrait parfaitement sembler disproportionné pour une autre personne placé dans les mêmes circonstances.

En conclusion, il est important de rappeler que dans tous les cas, lorsque la situation de danger cesse d’exister, nous ne sommes plus autorisés à utiliser la force et nous avons l’obligation de contacter la police soit pour qu’ils viennent chercher la personne que nous avons maitrisé, soit pour qu’ils viennent prendre notre déclaration sur les évènements et procèdent à l’enquête au besoin.

Rédacteur:
Par senseï Guy Faucher

Bibliographie:
DUBOIS, Alain, SCHNEIDER, Philip (2020). Code criminel et lois connexes annotées, LexisNexis, 1260 p.

MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE (2008). Intervention policière, 67 p.

MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE (2008). Tableau de l’emploi de la force, 57 p.


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